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Le Conseil régional ne suit pas le Conseil départemental en sa demande de sanction.
ConfortĂ© par ce premier succès, le chirurgien-dentiste se tourne vers le tribunal administratif de Paris afin de faire condamner le Conseil dĂ©partemental Ă lui verser une indemnitĂ© en rĂ©paration du prĂ©judice subi pour plainte abusive ; une procĂ©dure originale, mais somme toute voisine de celle d’une personne bĂ©nĂ©ficiant d’un non-lieu en matière pĂ©nale.
Le Tribunal administratif s’estime compĂ©tent et, statuant au fond, dĂ©boute le demandeur, qui fait appel.
La cour administrative d’appel annule la dĂ©cision et, Ă©voquant l’affaire, dĂ©boute le dentiste de sa demande en rĂ©paration d’un prĂ©judice, mais lui octroie 0,15 euro au titre du prĂ©judice moral.
Le Conseil dĂ©partemental se pourvoit alors en cassation contre la dĂ©cision d’appel. La Haute Juridiction, estimant qu’aucune des deux juridictions prĂ©cĂ©dentes n’Ă©tant compĂ©tentes pour rĂ©gler l’affaire au fond, casse la dĂ©cision d’appel : selon l’arrĂŞt de cassation, la juridiction naturelle pour statuer sur une demande reconventionnelle de dommages et intĂ©rĂŞts Ă©tait le Conseil rĂ©gional qui avait connu l’affaire au fond.
Six mille euros pour le chirurgien-dentiste
Mais toutes les juridictions saisies appartenant Ă l’ordre administratif, et le Conseil d’Etat en Ă©tant le dernier Ă©chelon, ce dernier dĂ©cide d’Ă©voquer l’affaire, en vertu des articles L.821-2 et R.351-1 du code de justice administrative.
Ce qui est fait - L’arrĂŞt de cassation reprend entièrement les dispositions de l’arrĂŞt d’appel sur le fond : indemnitĂ© de 0,15 €, surplus des conclusions du chirurgien-dentiste rejetĂ© et surplus des conclusions du conseil dĂ©partemental rejetĂ©.
La suite est plus originale - Statuant en vertu de l’article L.761-1 du code de justice administrative, l’arrĂŞt de cassation octroie six mille euros au chirurgien-dentiste au titre des frais irrĂ©pĂ©titibles engagĂ©s au cours des trois procĂ©dures, ce qui est relativement sĂ©vère.
En cas d’usage professionnel du titre de docteur, la profession doit être mentionnée
Il est donc intĂ©ressant d’analyser l’arrĂŞt dans ses prĂ©cisions sur l’usage et le droit d’utilisation du titre de docteur, et en quoi la position du Conseil dĂ©partemental dĂ©passait la simple erreur de lecture et constituait un abus de pouvoir.
Le titre de docteur traduit un grade universitaire (l’un des trois de l’Ă©poque napolĂ©onienne avec ceux de bachelier et de licenciĂ©). Pendant longtemps, la seule profession impliquant obligatoirement pour son exercice un niveau universitaire de doctorat Ă©tant celle de mĂ©decin, les termes docteur et mĂ©decin devinrent synonymes par usage. Si les mĂ©decins-spĂ©cialistes prĂ©cisaient leur champ d’activitĂ©, les gĂ©nĂ©ralistes se contentaient le plus souvent du titre de docteur. Puis d’autres professions du domaine de la santĂ© virent leurs Ă©tudes couronnĂ©es obligatoirement par un doctorat : les chirurgiens-dentistes (qui exercent une profession mĂ©dicale avec les mĂ©decins et les sages-femmes), les vĂ©tĂ©rinaires et les pharmaciens.
L’usage consistant Ă faire prĂ©cĂ©der son nom par le titre de docteur a Ă©tĂ© Ă©tendu Ă ces professions. Mais, dans l’exercice de la profession, c’est-Ă -dire sur les plaques et et les ordonnances, obligation est faite de prĂ©ciser après le nom la profession exercĂ©e.
Un détournement des pouvoirs disciplinaires octroyés par la loi
Mais aucun texte n’empĂŞche, pas plus en France que dans l’espace europĂ©en ou ailleurs, de faire prĂ©cĂ©der son nom de « docteur » si tel est le cas. C’est ce que dit très justement l’arrĂŞt de cassation, en notant que le dentiste Ă©tait « docteur en chirurgie dentaire », que la correspondance prĂ©sentĂ©e par l’accusation n’Ă©tait pas en rapport avec son exercice professionnel, et qu’aucune intention de tromperie ne pouvait ĂŞtre relevĂ©e.
Le secrĂ©taire d’Etat Henry Kissinger Ă©tait couramment prĂ©sentĂ© comme le docteur Henry Kissinger sur les ondes françaises , et nos voisins d’outre-rhin font souvent prĂ©cĂ©der leur nom d’autant de Herr Doktor qu’ils ont de doctorats. A l’inverse, dans un service hospitalier, une infirmière stylĂ©e ne se permettrait pas d’appeler « Docteur » le chef de service, le terme « Monsieur » Ă©tant jugĂ© plus respectueux, et celui de « docteur » valable pour les attachĂ©s de consultation...
En condamnant un Conseil dĂ©partemental au paiement d’une somme de six mille euros, la Haute AssemblĂ©e a manifestement voulu exprimer son irritation devant ce qu’il convient d’appeler un dĂ©tournement des pouvoirs disciplinaires octroyĂ©s par la loi.